Le stress traumatique secondaire et la fusillade d’Ottawa

Plusieurs personnes ont été directement touchées par les évènements d’Ottawa la semaine dernière – les plus bouleversés, bien entendu, étaient la famille de la victime, les proches du tireur, les bons samaritains qui se sont précipités au secours du caporal Nathan Cirillo, le personnel médical d’urgence et les policiers qui ont agi sur la scène du crime, tous les individus à l’intérieur du Parlement qui ont été témoins de l’affrontement armé, ainsi que tous les autres qui se trouvaient sur la Colline : ceux qui ont passé des heures en confinement, les touristes et passants qui ont assisté à l’attaque, les médias et un tas d’autres gens que j’oublie probablement.

Certains de ces individus ont été directement exposés à un traumatisme, alors que d’autres ont expérimenté une forme plus indirecte d’exposition traumatique.

En s’éloignant de l’épicentre de la tragédie, on peut établir une liste d’autres individus qui ont été profondément bouleversés par la fusillade – des citoyens d’Ottawa, des Canadiens qui l’ont regardée aux nouvelles, et bien sûr la communauté globale.

Ces gens n’ont pas été en contact direct au traumatisme, mais ont potentiellement secondairement été traumatisés tout de même : si vous avez regardé une partie des séquences non censurées diffusées sur les écrans télévisés à peine quelques minutes après la fusillade, vous aurez peut-être remarqué des images assez graphiques et troublantes centrées sur la victime. J’ai remarqué qu’alors que la journée avançait, la séquence montrée en boucle était altérée afin de masquer quelques-uns des éléments les plus perturbants de la scène. (Vous ne l’aurez peut-être pas remarqué, mais il y a que je dispose d’un radar pour l’exposition traumatique dans la sphère publique et la manière dont elle est faite. Appelons ça ma propre mission et obsession personnelle.) Cependant, avec Youtube et des douzaines de passants capables de filmer la scène avec leurs téléphones intelligents, il ne sera pas difficile de trouver des images non censurées quelque part sur le net, en cherchant bien.

Je ne suis pas certaine de pourquoi la presse a décidé d’arrêter de montrer les détails les plus graphiques – était-ce par respect pour la famille de la victime ? Une décision pour épargner les téléspectateurs ? Peut-être un peu des deux, et c’est là une bonne chose. Dommage que cela n’arrive pas plus souvent.

Heureusement, notre degré de compréhension du stress traumatique s’est considérablement amélioré au cours de la dernière décennie – la plupart des gens sont maintenant familiers avec le concept du Trouble du Stress Post Traumatique (TSPT) et n’ont pas de difficulté à comprendre que ceux qui se trouvaient au centre d’évènements comme la fusillade d’Ottawa puissent être considérablement affectés durant les semaines et peut-être même les mois à venir.

Nous savons aussi que certaines personnes sont plus vulnérables aux facteurs traumatiques de stress et peuvent développer de la détresse psychologique à la suite d’un tel événement : l’intensité de la réaction d’une personne est déterminée par l’existence chez elle d’un passé traumatique, d’un passé de troubles  psychologiques ou de dépendance, par la personnalité de l’individu et ses modes d’adaptation, par sa recherche de soutien adéquat après l’événement traumatique, par la qualité du support offert par son groupe social et par plusieurs autres facteurs.

Une chose est claire – lorsqu’on vit un événement traumatique, beaucoup ressentent un fort besoin d’en parler avec les autres.

C’est une très bonne chose. Parlez, écrivez, partagez avec vos proches, avec vos collègues de travail et vos amis. Ce besoin de se rapprocher et de raconter son histoire peut aussi arriver lors d’événements intensément heureux – parlez à une nouvelle mère de son histoire d’accouchement quelques heures ou quelques jours après la naissance, et elle vous racontera minute par minute chaque cube de glace qu’elle a mâché et à combien de centimètres de dilatation elle était.

Parlez-lui en un an plus tard, et elle vous racontera, en bref, que « ça faisait horriblement mal et que ça a duré 26 heures », et, à moins que ç’ait été un accouchement très traumatisant, elle ne ressentira plus le besoin de partager minute par minute un rapport de ce qui est arrivé. C’est tout à fait normal.

Avec des événements traumatisants impliquant un acte criminel, le besoin de partager le traumatisme expérimenté peut être plus fort. Un « acte de Dieu » est très différent de la décision délibérée d’un individu de faire du mal à d’autres, même si l’auteur du crime est profondément troublé psychologiquement. Alors parlons-en, absolument.

Cependant, on devrait prendre soin de partager ce qui est nécessaire plutôt que « tous les détails sanglants » à moins que ceux-ci soient tout à fait centraux à notre expérience.

Après les événements du 11 septembre 2001, le Globe and Mail (ainsi que plusieurs autre médias) a partagé des photos incroyablement graphiques que je ne serai jamais à même de retirer de mon esprit – j’était traumatisée par ces images et ce n’était pas nécessaire – je n’avais pas besoin de les voir pour être compatissante et profondément ébranlée par l’écroulement des tours jumelles. Quatorze ans plus tard, ces photos du 11-Septembre me hantent toujours lorsqu’il est question du World Trade Centre. Il en est de même pour le procès Bernardo, quelque vingt ans plus tard.

Alors que les événements d’Ottawa s’estompent, certains d’entre vous resteront peut-être très ébranlés et très affectés par les sons, images et émotions en lien avec la fusillade. Si, dans plusieurs semaines, vous êtes plus chamboulés que vous ne le devriez – si vous êtes plus bouleversé(e) que vos collègues, si vous avez de la difficulté à dormir ou à vous concentrer sur autre chose, si vous expérimentez des images intrusives ou des cauchemars – allez chercher de l’aide. Prenons soin les uns des autres.

Quelques ressources utiles :

Association Canadienne pour la santé mentale :

 

This article is also available in English

© Françoise Mathieu, 2014

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