Il s’agit d’un marathon, pas d’un sprint : stratégies pour prévenir l’épuisement (première partie)

En tant que professionnels fournissant des services essentiels…

Nous devons prendre en compte certaines stratégies qui nous aiderons à rester en santé à long terme plutôt que de nous contenter de vivre au jour le jour. Que pouvons-nous faire pour avoir les idées claires et conserver notre équilibre pendant cette pandémie?

Plongés dans la crise : les dangers de l’épuisement chez les professionnels en relation d’aide

Vous devez certainement vous rappeler cette scène du film Apollo 13 où les membres de l’équipage doivent trouver de toute urgence un moyen de réparer l’approvisionnement en air de leur vaisseau pour sauver leur vie. Après avoir lancé une boîte renfermant divers objets sur la table, un ingénieur de la NASA a demandé ce qui suit à ses collègues :

« Écoutez-moi bien […] nous allons trouver un moyen de régler ce problème, essayez de boucher le trou sans utiliser rien d’autre que ceci. »

L’équipe pouvait utiliser uniquement des matériaux auxquels les astronautes avaient accès dans leur vaisseau. Ces ingénieurs devaient penser rapidement et faire preuve de créativité sous les yeux du monde entier. À défaut de résoudre le problème, l’équipage allait vers la catastrophe.

Compte tenu des enjeux importants, du niveau de pression élevé, de l’émergence de problèmes complexes et du peu de ressources disponibles pendant cette pandémie de COVID-19, un grand nombre d’entre nous se sentent comme ces spécialistes de la NASA. Nous sommes confrontés au défi suivant :

Comment pouvons-nous faire preuve de créativité dans la résolution de problèmes lorsque nous sommes stressés et épuisés? Comment pouvons-nous continuer à penser clairement lorsqu’en réalité nous avons été plongés dans cette crise alors que nous étions déjà fatigués et même épuisés?

 

L’impact de l’épuisement : un appel à la prudence

Lorsque les experts discutent de l’épuisement professionnel, de la fatigue de compassion et de la détresse morale, ils laissent souvent de côté l’un des principaux facteurs responsables de la faiblesse des intervenants, à savoir la bonne vieille fatigue.

Dans son livre-choc Five Days at Memorial: Life and Death at a Storm-Ravaged Hospital, la journaliste Sheri Fink, gagnante d’un prix Pulitzer, enquête sur les retombées de l’ouragan Katrina survenu à la Nouvelle-Orléans en 2005 sur un établissement de soins de santé.

L’hôpital avait alors manqué d’électricité pendant plusieurs jours. Il avait perdu la majorité de ses moyens de communication avec le monde extérieur. Le personnel déjà épuisé avait dû se réfugier temporairement dans cet environnement étouffant. Il s’efforçait désespérément de prendre soin des patients malgré le manque de sommeil, de nourriture, d’hygiène, d’air conditionné et d’électricité.

Un affaiblissement rapide du leadership a alors été observé. Les professionnels de la santé qui étaient restés bloqués dans l’hôpital devaient composer avec le manque de communication. Ils n’avaient aucune idée des plans d’évacuation et ne pouvaient espérer aucun répit prochain. Les horaires de travail avaient disparu, de même que toute possibilité de remplacement ou de repos.

Fink présente de nombreuses entrevues avec des membres du personnel dans son livre. Ceux-ci décrivent une détresse morale et un épuisement professionnel sans bornes, ainsi qu’une grande colère envers les hauts dirigeants et le gouvernement. Il a été largement reconnu que de tels facteurs ont contribué au manque de jugement chez certains intervenants qui ont pris des décisions douteuses sur le plan de l’éthique.

Nos organisations doivent sans cesse relever des défis significatifs, même lorsque tout va pour le mieux. Les expériences rapportées dans Five Days at Memorial illustrent les dangers de demander aux employés d’aller au-delà d’un niveau de fonctionnement sain. La présente pandémie de COVID-19 entraîne des pressions additionnelles au travail puisqu’il faut composer, entre autres, avec un manque de fournitures et d’équipement ainsi qu’avec la peur de nous contaminer nous-même et de contaminer notre famille et nos patients. Nous devons prendre des décisions difficiles pouvant entraîner des conflits moraux significatifs.

Five Days at Memorial démontre les conséquences potentiellement catastrophiques de l’épuisement professionnel dans des situations de crise ainsi que l’affaiblissement des capacités de résolution de problèmes dû au manque de temps pour se ressourcer et se réajuster.

Comment pouvons-nous continuer à penser clairement lorsqu’en réalité nous avons été plongés dans cette crise alors que nous étions déjà fatigués et même épuisés?

Premièrement, solidifier nos fondations : hygiène physique et mentale

La Dre Patricia Fisher, psychologue clinicienne et conseillère principale à TEND, est une experte en épuisement professionnel et stress organisationnel dans les services de soins de santé et divers services sociaux. La Dre Fisher exprime depuis longtemps ses préoccupations quant à l’impact potentiellement désastreux du manque de prise en compte de la physiologie chez les professionnels en relation d’aide et leurs leaders.

Elle explique ce qui suit dans son manuel :

« Nous pouvons relativement bien affronter des pics de stress pourvu qu’ils soient suivis d’un état de relaxation. Malheureusement, de nombreuses personnes subissent continuellement un niveau élevé de stress chronique. Leur organisme est tout simplement incapable de sentir un relâchement de la pression. Elles doivent en subir les conséquences. »

C’est souvent la santé physique et mentale qui est affectée en premier en situation de crise. Nous savons que pour conserver notre capacité de penser clairement et de travailler, nous devons :

  • Avoir des périodes de sommeil adéquates.
  • Avoir des horaires de travail réalistes.
  • Consommer des aliments de qualité à intervalles réguliers (notamment des glucides complexes, des lipides sains, des légumes verts et des sources de protéines saines).
  • Faire régulièrement de l’exercice physique (ce qui contribue à réduire l’anxiété tout en augmentant l’immunité).
  • Contrôler la consommation de caféine (ce qui favorise le sommeil de réduit l’anxiété).
  • Contrôler la consommation de substances psychotropes (comme l’alcool).
  • Rester en contact avec nos êtres chers et nos collègues.
  • Limiter notre exposition aux médias à une ou deux fois par jour en choisissant uniquement des sources d’information fiables.
  • Avoir accès à du soutien émotionnel (pour débriefer et disposer d’un espace pour partager respectueusement).
  • Avoir accès à l’aide nécessaire pour répondre aux demandes changeantes de notre famille et/ou dans le cadre de nos fonctions de fournisseur de soins de première ligne.

Bien que de telles suggestions puissent sembler faciles à mettre en pratique, nous devons avant tout prendre conscience de notre situation personnelle et prendre soin de notre santé physique et mentale.

Les leaders doivent vérifier la situation personnelle des intervenants pour s’assurer qu’ils aient tout ce qu’il leur faut sans oublier bien sûr l’importance de prendre soin d’eux-mêmes.

Communication : clarté et constance

Nous recevons actuellement un important volume d’informations en rapide évolution et parfois contradictoires sur la COVID-19. Il est parfois difficile de fonctionner en tant qu’équipe dans ce déluge d’informations. La confusion engendrée fait perdre beaucoup de temps.

Que pouvons-nous faire?

Établir un protocole de communication

Développer une méthode concise, claire et constante pour communiquer des renseignements importants au sein des équipes. Prendre le temps de s’assurer que les méthodes de communication proposées soient utilisées régulièrement par le personnel. Par exemple, l’envoi de courriels n’est peut-être pas la bonne façon de communiquer dans une équipe lorsque le personnel a rarement accès à cette technologie. Vous pouvez aussi considérer les préférences générationnelles et personnelles quant aux diverses méthodes de communication.

Fournir des mises à jour régulières

Consacrez du temps pour transmettre quotidiennement les mises à jour nécessaires à votre équipe. Évitez les mises à jour trop fréquentes (courriels à toutes les heures) ou trop éloignées (une fois par semaine).

Démystifier les rumeurs

Nommez une personne chargée de vérifier l’information et de présenter un rapport à l’équipe. Encouragez le personnel à transmettre leurs questions à cette personne. Demandez à tout le monde d’éviter toute transmission d’information non vérifiée. Cela peut s’avérer utile pour contrer les rumeurs et éviter toute communication erronée.

Être honnête

Lorsque vous ignorez quelque chose en tant que leader, dites la vérité à votre équipe. Engagez-vous toutefois à vous renseigner autant que possible par la suite. Cette recommandation s’applique autant à l’information sur le contrôle de l’infection, qu’à l’accès à des fournitures essentielles ou à des ressources de référence, à la charge de travail, aux mises à pied et à de nombreux autres facteurs qui pourraient avoir un impact physique et psychologique sur l’ensemble de l’équipe.

Le maintien d’une communication claire est un élément essentiel à la cohésion et au bon fonctionnement de nos équipes.

Recentrez-vous et écoutez votre corps

L’ampleur du stress ressenti en période de crise dépend de nombreux facteurs, entre autres des expériences antérieures, de certains facteurs liés à la personnalité, des facteurs de stress présents, des stratégies d’adaptation, de la formation antérieure, de la résilience personnelle et de nombreux autres facteurs.

Peu importe le niveau de stress ressenti, il est important de nous réajuster aussi rapidement que possible après l’augmentation du stress pour atteindre un état de « repos et digestion » plutôt qu’un état de combat, de fuite ou de torpeur.

En portant attention à notre corps pendant de telles périodes de stress nous obtenons certains indices sur les mesures à entreprendre pour nous réajuster. Notre corps sait souvent ce qu’il faut faire. Par exemple il se met souvent à trembler lorsqu’une crise survient.

Les pleurs et les tremblements sont des activités déclenchées par le système nerveux parasympathique pour permettre à l’organisme de se réajuster. Il est préférable de laisser l’organisme suivre son cours plutôt que d’essayer de le contrôler.

Voici quelques activités du système nerveux qui permettent à l’organisme de métaboliser les hormones du stress :

  • Tremblements ou secousses.
  • Pleurs.
  • Rires.
  • Chants ou psalmodies.
  • Mouvements spécifiques du corps pour augmenter le rythme cardiaque (p. ex. sauts à écarts, course, ascension des escaliers).
  • Activités de relaxation (p. ex. méditation).
  • Connexion avec une personne significative ou un animal de compagnie.

Quelques ressources utiles :

Livres

Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent, Stephen R. Covey, 2004

Par amour du stress, Sonia Lupien, nouvelle édition 2020

Quand le corps dit non : le stress qui démolit, Gabor Maté, 2003.

Articles

Le stress : Une menace contre la performance dans Revue Gestion, HEC Montréal, Claudine Auger, 2020

Reconnaître les signes d’épuisement professionnel & d’usure de compassion, L’association canadienne des médecins vétérinaire

Autres

Blogue, Sonia Lupien

Outils et ressources sur le stress, Centre d’études sur le stress humain

Stratégies en milieu de travail sur la santé mentale, Canada Vie

Certaines sections ont été adaptées à partir de Mathieu, F., Tikasz, D., & Welfare, M. (2016). Niagara Victim Services Toolkit.

Sources

Fink, S. (2013). Five days at Memorial: life and death in a storm-ravaged hospital. First edition. Crown Publishers.

Fisher, P. (2015). Building resilient teams: Facilitating workplace wellness & organizational health in trauma-exposed environments. Fisher & Associates Solutions Inc.

Fisher, P. (2016). Resilience, balance & meaning: Supporting our lives and our work in high stress, trauma-exposed workplaces. Fisher & Associates Solutions Inc.

Mathieu, F. (2012). The compassion fatigue workbook: Creative tools for transforming compassion fatigue and vicarious traumatization. Routledge.

Rothschild, B. (2006). Help for the helper: The psychophysiology of compassion fatigue and vicarious trauma. W.W. Norton.

Certaines sections ont été adaptées à partir de Mathieu, F., Tikasz, D., & Welfare, M. (2016). Niagara Victim Services Toolkit.

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